Herbie Hancock, le cameleon

Lorsque l'Orchestre symphonique de Chicago l'engage pour une représentation en tant que soliste piano, Herbie Hancock n'a que 11 ans. C'est un prodige, assis sur une solide formation classique, qui se nourrit exclusivement de musique. Il ne connait pas d'autres langages, il avoue lui même être "peu touché par les mots". Les notes, toujours les notes, pour retranscrire les émotions et le quotidien. Comme dans son premier hit "Watermelon Man" où il déclare avoir cherché à reproduire le claquement des sabots de chevaux qui tiraient les charrettes des marchands de pastèques dans les rues de Chicago. A cette époque, il partage un studio dans le Bronx avec le trompettiste Donald Byrd. Herbie vit grâce à des concerts, s'essaye à toutes les possibilités que la musique lui offre. L'homme est capable de sauter du Freejazz le plus abstrait au Concerto en ré majeur de Mozart le plus écrit. Il joue à bout de souffle sans se poser de questions, accompagne qui veut bien l'entraîner dans de nouvelles aventures. Et c'est peut être Miles Davis qui lui propose la plus belle.

Au début des années 60, Miles n'a plus de groupe. John Coltrane a quitté le navire et son départ est mal ressenti. Le maître a perdu son point d'appui qui lui permettait de s'élancer, et il supporte toujours mal de voir des talents le doubler. Mais John Coltrane a un destin qui lui tend les bras et on ne refuse pas à la vie la possibilité de marquer définitivement l'histoire de la musique. Miles rumine, vit enfermé chez lui et cherche un nouveau style. Entre aigreur et désir de revanche, il compose tout en cherchant de nouveaux musiciens pour le suivre. Un matin, Donald Byrd pousse Herbie à aller frapper chez lui et on trouve le récit de cette rencontre dans l'autobiographie de Miles Davis: "Je lui ai demandé de me jouer quelque chose sur mon piano et j'ai vu tout de suite qu'il savait vraiment jouer." Herbie est donc au rez-de-chaussée, enchaînant les morceaux avec d'autres jeunes musiciens et le maître les écoute à l'étage: "Je les écoutais sur l'interphone. Ils sonnaient trés bien ensemble. Pendant deux jours, ils ont joué seuls, puis le troisième, je suis descendu les retrouver et j'ai un peu joué avec eux. J'ai tout de suite vu que ça allait être un putain de groupe."

Un putain de groupe qui va sortir six albums entre 1965 et 68 dont le mythique "ESP" qui pose les balises d'un nouveau courant dans le jazz: "Peu de temps avant l'enregistrement d'ESP, Miles m'a dit: "Je ne veux plus jouer d'accords". Il voulait aller droit au coeur de la musique. Une composition traduit une idée et je pense que Miles, plutôt que de jouer la composition, désirait jouer directement l'idée à l'état pur." Herbie quitte le groupe après une énième embrouille durant l'été 68 mais il restera marqué à vie par cette expérience dans le sillage de Miles, qui écrira malgré tout cette séquence élogieuse: "Herbie c'était l'étape aprés Bud Powell et Thelonious Monk. Et je ne lui ai pas encore entendu de successeur."
Venant de lui, le compliment a valeur de vérité.

Dans les années 70, Herbie fonde les Headhunters (+++ lire l'article). Cette étape marque son basculement du statut d'apprenti à celui de professeur. Il accepte l'étendue de son talent et de ses capacités à entraîner les autres. Dans sa musique, il fait une place à sa passion pour les nouvelles technologies (Pour l'anecdote, il est l'un des utilisateurs historiques de Macintosh). Le groupe doit travailler avec de nouvelles sonorités, presque déroutantes, entre le piano électrique, le vocodeur et les synthés qui s'amassent les uns sur les autres. Herbie veut un retour au rythme pur, du beat pour le beat. La ligne de basse de Paul Jackson fait merveille et Herbie le pousse à devancer celle de la batterie. L'organisation rythmique des Headhunters est atypique tout en restant fidèle à la Funk. Herbie se passe même de guitariste et assure les parties guitare aux claviers. Le tube "Chameleon" marquera des générations entières, trouvant un écho jusque dans les productions Hip-Hop les plus récentes. Herbie désirait à travers le groupe retrouver l'origine de la musique noire en réunissant tous les mouvements de son histoire: "Plutôt que de travailler avec des jazz-men sachant jouer du funk, j'ai travaillé avec des musiciens de funk sachant jouer du jazz."
Fin des années 70, il quitte les Headhunters qui continueront l'aventure avec d'autres membres. Herbie a déjà d'autres idées au bout des doigts. Son inspiration continue à galoper. Malgré toutes ces années d'innovations musicales, il garde intact le goût de l'exploration et en 1983 il publie "Rock it", au carrefour entre l'electro et le Hip-Hop. Le titre cartonne et fait le tour du monde. C'est la première chanson grand public qui comprend du scratch. Grand public mais sans concession. A l'image de son auteur.

Aujourd'hui Herbie Hancock demeure ce caméléon artistique dont le talent ne flétrit pas avec le temps. Il est le seul musicien de jazz encore vivant a vendre des millions de disques, titulaire d'un diplôme d'ingénieur en génie électrique, capable de citer James Brown et Stockhausen dans la même discussion. Lorsqu'on lui demande sa définition de la musique, il répond: "Certaines musiques relèvent peut être plus du divertissement que d'autres, plus artistiques. Mais c'est une erreur de les placer dans des camps opposés. Elles ont énormément de points communs et se mélangent tellement qu'il m'est difficile d'en exclure une au profit de l'autre. Pour moi la musique ressemble à une vague. Comme la vie d'ailleurs, avec ses hauts, ses bas et ses malheurs. Dans la musique il y a un flux dramatique qui transcende les genres. Que ce soit Bach, Miles ou Norah Jones, chacun raconte une histoire. C'est la seule fonction qui compte."

LIENS

site officiel de Herbie Hancock

ARTICLES

The Headhunters : la fusion du jazz électrique et du funk

Tous nos articles sur Herbie Hancock >>> ici


AGENDA
Herbie Hancock en concert >>> voir les dates