Interview - Lee Fields, Jeff Silverman & Leon Michels

Lundi 30 Avril 2012

Alors qu’on le pensait égaré voire perdu suite au difficile Treacherous, Lee Fields revient par la grande porte. Celle du 97 North 10th Street, base stratégique du label Truth & Soul où il mettait sur bandes en 2009 le passé dans la catégorie « classique » My World.
Depuis, les consoles n’ont pas refroidies et la paire de producteurs Jeff Silverman – Leon Michels s’est mis au boulot pour Aloe Blacc ou Hypnotic Brass Ensemble ainsi que pour tout un tas de groupes satellites (Avramina 7, Olympians, Cosmic Force…). Mais quand il s’agit de faire parler la grosse artillerie et de passer la surmultipliée, c’est encore et toujours Lee aka The Bull Is Coming aka Funky Screw aka Mister Honey Dove qu’on appelle. De retour dans le studio de Brooklyn, Mister Steam Train n’a semble t-il pas fait le voyage pour rien. Et ça tombe bien, Silverman et Michels ne l’attendaient pas avec des balles à blanc…


Interview - Lee Fields, Jeff Silverman & Leon Michels
Ce qui saute tout de suite aux oreilles en écoutant Faithful Man, c’est la production : ENORME !!
JEFF : On voulait vraiment aller dans une autre direction. Pour My World, on travaillait dans l’optique d’un album mais les morceaux se sont faits sur 2 ou 3 ans, là on a calé des sessions de travail en studio et tout s’est fait sur 3 mois. Ecriture, enregistrement et mixage.
LEON : My World est parti de jam-sessions qui sont devenues des chansons alors que là, toutes les chansons ont été écrites avant de commencer l’enregistrement. On voulait faire un album différent et surtout ne pas entendre la même chose que ce qu’on avait déjà fait.
LEE : On a bossé vraiment dur pendant 3 mois ! Pour My World, je ne savais finalement pas ce qu’ils allaient faire avec les titres qu’on avait enregistré ; là on était dans la dynamique de travail d’un album. La direction était bien définie dès le début.
JEFF : Leon et moi avons fait pas mal de production ces 4 ou 5 dernière années, aussi bien pour nous que pour des choses extérieures au label. Ca nous a permis de beaucoup apprendre et d’être plus précis dans ce qu’on voulait faire. On est tous les deux fans des Delfonics, des Dramatics, tous ces groupes de big Soul des 60’s et 70’s avec des arrangements massifs, on voulait que Faithful Man sonne comme ça. Comme de la Soul Classique et pas comme de la Soul deep et crasseuse comme ces albums de funk connus seulement de quelques initiés.
Sur My World, il y avait beaucoup plus d’overdubbs. Cette fois on s’est plus concentré sur la production en ne mettant par exemple qu’une seule piste de clavier alors qu’avant on en aurait mis plusieurs : on aurait mis une piste d’orgue, puis une autre, puis une de Rhodes… Si tu écoutes attentivement les morceaux, tu verras qu’il y a deux piste de guitares, une de basse, une de batterie, et qu’au final c’est beaucoup moins instrumentalisé que ça en a l’air, mais on est arrivé à avoir un son vraiment plus gros maintenant.


On trouve beaucoup d’arrangements de cordes, du genre majestueuses, vous avez dû louer un autre studio pour les faire ?
JEFF : Non, non, tout a été fait chez nous ! Depuis quelques temps on s’est équipé d’une nouvelle console et de nouveaux équipements qui nous permettent d’avoir un son plus riche. Pour les parties de cordes, on a juste eu deux musiciens qui nous ont joué les couches plusieurs fois jusqu’à donner l’impression qu’ils étaient une dizaine et que ça sonne comme un orchestre.
LEON : On avait déjà utilisé les cordes sur My World, c’était d’ailleurs la première fois. My World a été un peu notre apprentissage, on a appris à arranger des cordes à les faire sonner, sur Faithful Man on est arrivé beaucoup mieux préparé.
LEE : Ces couches de cordes, ces arrangements de cuivres, c’est sublime ! Sur le dernier titre, Walk On Thru That Door, ça sonne comme un orchestre symphonique !


Interview - Lee Fields, Jeff Silverman & Leon Michels
Ce genre de production, c’est loin du terrain de jeu habituel de Lee…
JEFF : C’était la première fois pour lui et il était un peu nerveux. En fait, la plupart des morceaux étaient écrits avant qu’il n’arrive et je crois qu’il ne s’attendait pas du tout à ça. Il s’attendait à quelque chose avec un son plus funk. Quand il a entendu les titres, il était inquiet et excité en même temps parce qu’il allait se retrouver hors de son élément et que nous, on allait le pousser vers quelque chose de différent. Et comme d’habitude, il a fait le boulot à la perfection.
LEON : Il a adoré ça ! Pendant des années, Lee a principalement enregistré des choses qu’il composait lui-même sur ordinateur ou ce genre de truc, c’est sûr que quand il a entendu ce qu’on avait arrangé pour lui et la production énorme, il a adoré ! Sur My World, on l’avait déjà amené sur quelque chose de différent pour lui. Son registre, c’était plutôt James Brown et nous on voulait qu’il soit plus soul, qu’il aille sur des ballades, vers Otis Redding. On était content de nous mais avec Faithful Man on voulait vraiment réaliser ce qu’on avait en tête.
LEE : C’était la première fois que je chantais sur ce genre de production. Leon et Jeff voulaient aller vers quelque chose de plus élaboré avec des orchestrations, je me suis clairement bien amusé à le faire ! Déjà sur My World je sentais qu’ils avaient et l’envie et les capacités de produire un album de cette trempe. Je ne suis pas surpris de leur talent et je suis persuadé qu’ils vont devenir deux producteurs dont on va parler dans les années à venir.

Ca vous a obligé à repenser votre façon de chanter ?
LEE : Non, chanter des ballades, j’ai toujours fait ça et j’ai toujours eu cette facilité à raconter des histoires sur ce style musical. Leon et Jeff le savaient très bien et je suis content qu’ils aient eu envie d’aller vers ce style de production. Chanter des ballades, c’est un peu toujours la même chimie, là, ce qui changeait c’était uniquement le support avec les cordes et les orchestrations.

Une sorte de 4x4 de la musique ?
LEE : Yeah man ! Un 4x4 ! Mais, ce qui m’a réellement plu dans cet album, c’est la direction que Jeff et Leon ont pris ! Un virage à 360° y compris au niveau des textes qui se concentrent plus sur l’amour et les relations. On a essayé d’en explorer un peu tous les aspects. Le titre Faithful Man, par exemple, aborde la tentation. Dans toute relation il y a une part de tentation et on a essayé de capturer ça dans le morceau où le type supplie pour ne pas agir mal. Il essaie d’agir correctement mais c’est difficile. Sur tous les morceaux je me suis investi du personnage qui y est mis en scène, je crois que c’est ça le propre d’un artiste : interpréter une chanson comme si on en était vraiment le personnage central. Le type rencontre cette femme magnifique qui lui fait oublier tous ses principes d’un seul coup ! La fille est si charmante que lui résister sera l’effort le plus incroyable qu’il aura eu à faire de toute sa vie ! Wish You Were Here évoque une relation à distance entre deux personnes dont une se morfond qu’ils ne soient pas ensemble ; I Still Got It est un encouragement pour tous ceux qui ont mis fin à une relation et qui doivent garder confiance en eux malgré tout. My World avait des textes plus politiques, le titre My World en lui-même mais aussi des titres comme Money Is King.


Interview - Lee Fields, Jeff Silverman & Leon Michels
Faithful Man s’est fait avec pas mal de nouveaux musiciens, ça vous a amené à travailler différemment ?
JEFF : C’est clair que ça nous a amené de nouvelles idées, ça nous a ouvert de nouvelles portes sur la façon d’envisager et de faire les choses et dans un sens c’est mieux. On cherchait vraiment à avoir notre propre identité sonore. A travailler de manière collective comme on l’a fait par le passé, on ne savait plus d’où venait les idées et qui avait fait quoi. On est tous potes et chacun joue sur les disques et les labels des autres, mais à force, on se retrouve tous très occupés. Ceux du camp Dunham était soit sur des enregistrements, soit en tournée, ceux de Daptone aussi, donc on a dû trouver de nouveaux musiciens. Un nouveau guitariste, un nouveau clavier, et plus généralement des gars avec qui on n’avait jamais bossé avant et avec qui on a dû prendre nos marques en studio. Idem avec Nicole : sur le précédent album, les textes étaient écrits par Leon, Lee et moi, là on a du faire des séances d’écritures avec elle.


Nicole Wray justement, d’où vient-elle ?
JEFF : On l’a connu par l’intermédiaire de Terri Walker, une chanteuse R n’ B anglaise. Au départ Nicole est une artiste plutôt Hip Hop, elle a bossé avec Missy Elliot et d’autres, et qui nous a apporté de nouvelles choses sur le plan des mélodies par exemple.


C’est nouveau ces chœurs féminins dans vos productions ?
JEFF : C’est encore dans l’optique d’avoir cette production plus riche. Il y a aussi des chœurs masculins dans le fond du mix mais c’est sur que c’est Nicole la plus présente. Dès le départ, on voulait qu’elle ait une place à part entière sur plusieurs titres.

Ca n’a pas été trop dur pour Lee de partager son micro ?
LEON : Lee est un immense professionnel, quelque soit les textes qu’il doit chanter ou le type de production, il s’adapte. Il ne s’est pas contenter de chanter comme il savait le faire à la différence près qu’il avait quelqu’un qui chantait avec lui, il a adapté sa façon de chanter au fait qu’il avait une partenaire au micro.
LEE : A vrai dire ça ne m’a pas tracassé pas plus que ça ! Si c’est ce qu’ils ont besoin pour ce qu’ils veulent faire, allons-y ! Je suis le genre de gars qui va dans la direction de ce que les producteurs ont en tête !

Dans une chronique, un collègue (Fred Adrian dans Soulbag n° 206 pour ne pas le nommer - NDR) considère qu’il s’agit probablement là de votre meilleur album…
LEE : Beaucoup de gens le disent et je suis très content de l’entendre ! Au fur et à mesure qu’on le joue sur scène, les réactions du public sont de meilleures en meilleures. Personnellement, je suis vraiment très content d’avoir fait un tel album parce que dans le business de la musique tu peux faire un album que les gens aiment et un second que personne n’aimera jamais. Moi, j’ai fait My World qui a eu un très bon accueil et maintenant Faithful Man qui suit le même chemin. C’est vraiment quelque chose de fabuleux…

Interview - Lee Fields, Jeff Silverman & Leon Michels
Lee, vous avez travaillé avec plusieurs producteurs, Lehman, Roth, Solveig, Michels et Silverman, en avez-vous un préféré ?
LEE : Depuis My World et maintenant avec Faithful Man, je suis obligé de te répondre Leon and Jeff ! Je suis réellement heureux de travailler avec eux et d’être chez Truth & Soul, ils savent me faire chanter comme je suis sensé le faire.


Tous ces labels New-Yorkais qui sortent de sacrés bons disques, ça me rappelle l’âge d’Or du rap (88-92) où chacun voulait sortir un album qui fasse encore plus mal que celui du voisin !
JEFF : On se connait pratiquement tous depuis la période Desco, on a donc tous énormément bossé ensemble, mais je crois que depuis ces dernières années chacun a réussi à trouver sa place pour son propre son. Daptone a un son que tu ne retrouveras ni chez Dunham ni chez Truth & Soul, Dunham n’a ni le son Truth & Soul ni le son Daptone. Et même si Dunham est chez Daptone, ça reste différent. Aujourd’hui, on a tous réussi à donner notre propre interprétation de la musique qu’on aime.
LEON : C’est une compétition amicale !


Qui mène pour le moment ?
LEON : (rires)… hummm… allez… allez je dirais que c’est nous ! (rires)


Interview - Lee Fields, Jeff Silverman & Leon Michels
Et la suite ?
LEE : On continue la tournée en enchainant les dates. Bien sur, on n’a pas les cordes ni tous ces arrangements et les chœurs sont assurés par le groupe, mais on s’attarde surtout à faire en sorte que le public retrouve ce son qu’il a pu entendre sur l’album même si on est beaucoup moins. On inclut d’anciens titres comme Honey Dove, Money Is King, Love Comes And Goes, My World, qu’on mélange avec les nouveaux afin que le public ressente les différentes émotions présentes sur les deux albums.
JEFF : On a pas mal de trucs dans les tuyaux mais ce qui nous mobilise actuellement c’est ce groupe de filles avec Nicole Wray et Terri Walker. Le groupe s’appelle Lady, enfin rien de définitif encore mais ça sera probablement ça. Ca sera quelque chose entre Love Unlimited Orchestra et Dionne Warwick, très 60’s. Ca risque d’être un album plus long que ce qu’on est habitué à produire, normalement on fait 10-12 titres et là on en a 17 !
LEON : Jeff et moi avons aussi des projets à l’extérieur du label, des productions qu’on fait pour les autres. Avant on faisait aussi des enregistrements pour les groupes qui voulaient le son Truth & Soul, mais maintenant on a tellement de boulot avec nos projets qu’on n’a plus trop le temps de le faire !


Lee ne serait-il pas finalement l’Arme Fatale de Truth & Soul ? Celui qu’on appelle quand il est l’heure de frapper fort ?
LEE : (rires) J’apprécie le compliment ! On essaie surtout de faire des bons albums.



Propos recueillis en mars 2012.



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