Interview - Patrice Rushen

Haven't you heard from Patrice?

Mercredi 24 Novembre 2010

La scène est adorable, assez drôle même. Sur skype, un jeune français converse avec une légende de la soul funk américaine. Entre eux, les neuf heures de décalage qui séparent l'heure de Paris et le Pacific time. A Los Angeles le soleil pointe timidement le bout de son nez tandis qu'à Paris il commence à décliner avec l'arrivée du soir! Dans un élan de coquetterie, Patrice Rushen demande avec une moue comique: « Hey! Est-ce que ça va passer à la télévision? Parce que je suis en pyjama et je n'ai pas l'air terrible! » Avec un sourire je la rassure à la fois sur son charme et sur le fait que l'interview ne sera pas filmée. Et c'est parti!


Interview - Patrice Rushen
Patrice Rushen ça fait quelques temps qu'on n'entend plus beaucoup parler de vous en France. Que devenez vous?


PR: Je fais plein de choses. Je continue à faire pas mal de concerts avec différents musiciens que ce soit en jazz, en pop, rn'b. J'ai été coordinatrice musicale pour beaucoup de show télévisés aux Etats-Unis dont les Grammy Awards, l'année dernière. J'ai travaillé sur les Grammy trois fois ces quatre dernières années. J'enseigne au Berklee College of music à Boston en tant qu'ambassadrice pour l'art et l'éducation mais aussi à l'Universite de South California sur leur nouveau programme sur la musique populaire. J'y suis à la fois consultante et en résidence artistique. Toutes les connaissances que j'ai acquises en étant une vocaliste de r'nb, plus mon expérience de pianiste de jazz, plus l'écriture , l'orchestration de toutes sortes de musiques; j'ai voulu les partager avec de jeunes musiciens. Et puis, je fais en ce moment une tournée d'été. L'année dernière j'ai beaucoup travaillé avec le guitariste Lee Ritenour et j'aimerai refaire des dates avec lui. Je tourne également avec un nouveau projet: « Patrice Rushen and friends » qui réunit de très bons amis et musiciens:« Ready »Freddie Washington à la basse, Leon « Ndugu » Chancler ou Will Kennedy à la batterie, Paul Jackson JR à la guitare, parfois Gerald Albright, Everett Harp ou Kirk Whalum au saxophone. Tous ces gens que je connais bien et que j'essaie de mettre ensemble en fonction de leurs disponibilités parce qu'ils sont très pris. J'ai aussi un projet en duo appelé « One plus one » dans lequel je chante et je fais plusieurs instruments, avec « Ndugu » Chancler. Et je serai intéressée par une autre formule: un trio de jazz avec d'autres femmes comme Esperanza Spaulding à la basse et Terri Lyne Carrington. J'ai toujours des choses en vue car j'adore jouer! Accessoirement, je suis aussi une femme mariée et une maman. Donc je suis occupée tout le temps!

Vous avez beaucoup été mise en avant par votre voix pendant votre période r'nb mais on oublie parfois que vous êtes une remarquable pianiste. Quelle est votre relation avec le piano?

PR: Le piano est mon premier instrument. C'est un instrument très confortable et un bon ami! J'ai appris énormément grâce au piano parce que ça a été ma première entrée dans la fabrication et l'exécution de la musique. Il me procure un sentiment spécial.

Et puis vous avez un peu été une « Black Mozart!»

PR: Haha très drôle! C'est vrai que j'ai commencé très jeune et que j'ai débuté par jouer de la musique classique. J'en joue toujours d'ailleurs et j'aime ça. J'ai oublié de préciser que j'écris aussi de la musique symphonique.

Interview - Patrice Rushen
En 1974, vous avez fait votre premier album « Prelusion » chez Prestige, un opus très marqué jazz. Vous étiez très jeune n'est-ce pas?

PR: Exactement. Je n'avais même pas dix-sept ans. J'ai été signée en tant qu'artiste de jazz parce que la compagnie de disque m'a repérée alors que je jouais au festival de jazz de Monterey. Mon combo de l'époque a pu participer à ce festival parce c'était la récompense décernée par un concours des lycées, qui n'existe plus aujourd'hui. Donc à Monterey, les gens du label me voulaient. Au début j'ai refusé en leur disant que j'étais trop occupée, que j'avais envie d'intégrer l'université. Mais pour aller à l'université j'avais besoin d'argent alors j'ai accepté Fantasy Records m'a donc placée chez Prestige, son label jazz. Et ça a donné ses trois albums, « Prelusion », vous l'avez dit était très « straight ahead jazz », le second était un peu plus funky, jazz contemporain: « Before the dawn », et le dernier était très très funky: « Shout it out. » Je crois qu'il vient d'être réédité au Royaume-Uni...

Comment se fait la passerelle entre un univers jazz pur et dur et du « heavy funk »?

PR: J' ai grandi en écoutant et en appréciant de nombreux styles de musique. Chez moi on écoutait énormément de jazz et de r'nb. Mes racines sont ancrées dans ces deux genres et je n'ai jamais pensé qu'il n'était pas possible de les mettre ensemble. Je me disais que c'était une bonne combinaison. Cela me semblait très naturel. J'ai mis en oeuvre la musique que j'avais dans un coin de la tête et que j'aimais.. tout simplement.


Ensuite vous avez quitté Prestige pour Elektra.

PR: Elektra cherchait des artistes parce que le label voulait développer dans son catalogue le jazz-fusion mais aussi une catégorie qui s'est appelée « Urban » pendant un moment, le « smooth jazz » est apparu bien plus tard. Le format « Urban » impliquait une part de jazz mais aussi la possibilité d'utiliser des beats funky. Je voulais être commercialement et artistiquement acceptable.


En 1978 vous avez fait avec Elektra l'album « Patrice », qui est un tournant vers le groove et le r'nb et surtout dans lequel le chant devient prépondérant.

Dans « Shout it out », je chante sur un thème: « Let your heart be free » et les gens d' Elektra quand ils m'ont signé ont trouvé que c'était une bonne direction à suivre. Ils m'ont demandé de faire d'autres chansons comme celle là. Un peu jazzy, un peu funky mais surtout avec de la voix afin de me promouvoir et me distribuer sur un marché plus important que celui du jazz. C'est pourquoi il y a pas mal de vocaux sur cet album.. mais j'ai continué de concevoir la musique. J'y joue les parties de claviers, j'ai aussi écrit les tous les arrangements de cordes, de cuivres, de la section rythmique..

A l'époque certains puristes du jazz vous ont boudé. Comment vous l'avez ressenti?


PR: Je me suis toujours sentie à l'aise avec les projets que j'ai mis en place. Et je ne m'inquiète pas trop des critiques parce qu'ils ne sont pas toujours capables de comprendre le développement des artistes et cette évolution faisait partie du développement. Cela ne veut pas dire que j'avais abandonné le jazz et mon désir de jouer du piano jazz: « not by any means », mais j'avais une mission à remplir avec ma compagnie de disques. C'était mon travail et c'était bon que cela se passe comme ça. Cela m'a permis d'avoir du succès dans ce style et ça a préfiguré tout ce que j'ai fais par la suite.

Surtout qu'en vous tournant vers le dancefloor, vous avez un plus large public...

PR: Tout à fait. Plus de gens, ceux qui avaient envie de danser, et qui parfois n'avaient jamais entendu « Shout it out », tout simplement parce qu'on ne le jouait pas en radio! Alors que l'album d'Elektra a été conçu pour une large diffusion en radio, ce qui à l'époque était essentiel pour informer les clubs de ce qui se faisait. Et les gens ont adhéré à ma musique. Certains ont aimé les beats, d'autres les harmonies-puisque je continuais à jouer, d'autres ont accroché sur les chansons, d'autres encore sur ma voix. Il y a eu donc plein de gens qui sont venus à ma musique à partir de différents aspects de mon art.


Ensuite avec « Pizzaz » Posh, « Straight from the heart », vous avez fait des «hits » à la pelle. Comment avez-vous trouvé l'inspiration pour cet d'âge d'or du r'nb?

A cette époque nous étions encouragés à créer et apporter nos propres sons. On me laissait en toute liberté essayer des choses. Et musicalement ça me permettait de mobiliser mon background, qui va de l'écoute de beaucoup de r'nb, mais aussi de classique, de jazz, tout cela mélangé ensemble. C'était une période juste avant le disco, donc avoir des arrangements assez fournis avec des cordes faisait partie de ce qu'on expérimentait à l'époque. Earth wind and fire était un de mes groupes préférés. Il y avait tellement d'influences qui supportaient la musique et la tirait vers le haut. C'était génial durant cette période là...

To be continued...

Discographie sélective:

Prelusion (1974) Prestige
Before the dawn (1975) Prestige
Shout it out (1977) Prestige
Patrice (1978) Elektra
Pizzaz (1979) Elektra
Straight from the heart (1982) Elektra
Now (1984) Elekra
Signature (1997) GPR


Liens: www.patricerushen.com

Propos recueillis par Julien LeGros en juin 2010
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